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consuelo.

ne puis me permettre d’exprimer familièrement à l’auguste chef de la famille. »

Ces deux graves personnages perdirent plusieurs jours à se renvoyer le soin d’attacher le grelot ; et pendant ces irrésolutions où la lenteur et l’apathie de leurs habitudes trouvaient bien un peu leur compte, l’amour faisait de rapides progrès dans le cœur d’Albert. La santé de Consuelo se rétablissait à vue d’œil, et rien ne venait troubler les douceurs d’une intimité que la surveillance des argus les plus farouches n’eût pu rendre plus chaste et plus réservée qu’elle ne l’était par le seul fait d’une pudeur vraie et d’un amour profond.

Cependant la baronne Amélie ne pouvant plus supporter l’humiliation de son rôle, demandait vivement à son père de la reconduire à Prague. Le baron Frédérick, qui préférait le séjour des forêts à celui des villes, lui promettait tout ce qu’elle voulait, et remettait chaque jour au lendemain la notification et les apprêts de son départ. La jeune fille vit qu’il fallait brusquer les choses, et s’avisa d’un expédient inattendu. Elle s’entendit avec sa soubrette, jeune française, passablement fine et décidée ; et un matin, au moment où son père partait pour la chasse, elle le pria de la conduire en voiture au château d’une dame de leur connaissance, à qui elle devait depuis longtemps une visite. Le baron eut bien un peu de peine à quitter son fusil et sa gibecière pour changer sa toilette et l’emploi de sa journée. Mais il se flatta que cet acte de condescendance rendrait Amélie moins exigeante ; que la distraction de cette promenade emporterait sa mauvaise humeur, et l’aiderait à passer sans trop murmurer quelques jours de plus au château des Géants. Quand le brave homme avait une semaine devant lui, il croyait avoir assuré l’indépendance de toute sa vie ; sa prévoyance n’allait point au-delà. Il se résigna donc à