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consuelo.

vous n’y songiez pas précisément, mais où vous êtes enchanté, je gage, d’être délivré de tous les ennuis qu’entraînent la dissolution et les préparatifs d’un déplacement. Ma position devenait intolérable, et vous ne vous en aperceviez pas. Voilà mon excuse et ma justification. Daignez m’embrasser et ne pas me regarder avec ces yeux courroucés qui me font peur. »

En parlant ainsi, Amélie étouffait, ainsi que sa suivante, une forte envie de rire ; car jamais le baron n’avait eu un regard de colère pour qui que ce fût, à plus forte raison pour sa fille chérie. Il roulait en ce moment de gros yeux effarés et, il faut l’avouer, un peu hébétés par la surprise. S’il éprouvait quelque contrariété de se voir jouer de la sorte, et un chagrin réel de quitter son frère et sa sœur aussi brusquement, sans leur avoir dit adieu, il était si émerveillé de ce qui arrivait, que son mécontentement se changeait en admiration, et il ne pouvait que dire :

« Mais comment avez-vous fait pour arranger tout cela sans que j’en aie eu le moindre soupçon ? Pardieu, j’étais loin de croire, en ôtant mes bottes et en faisant rentrer mon cheval, que je partais pour Prague, et que je ne dînerais pas ce soir avec mon frère ! Voilà une singulière aventure, et personne ne voudra me croire quand je la raconterai… Mais où avez-vous mis mon bonnet de voyage, Amélie, et comment voulez-vous que je dorme dans la voiture avec ce chapeau galonné sur les oreilles ?

— Votre bonnet ? le voici, cher papa, dit la jeune espiègle en lui présentant sa toque fourrée, qu’il mit à l’instant sur son chef avec une naïve satisfaction.

— Mais ma bouteille de voyage ? vous l’avez oubliée certainement, méchante petite fille ?

— Oh ! certainement non, s’écria-t-elle en lui présen-