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consuelo.

Le guide se mit à rire. Anzoleto se remit à chanter.

« Allons, dit le guide en s’arrêtant, voici le mauvais chemin passé ; si vous voulez remonter à cheval, nous allons faire un temps de galop jusqu’à Tusta. La route est magnifique jusque-là ; rien que du sable. Vous trouverez là la grande route de Prague et de bons chevaux de poste.

— Alors, dit Anzoleto en rajustant ses étriers, je pourrai dire : Le diable t’emporte aussi ! car tes haridelles, tes chemins de montagne et toi, commencez à m’ennuyer singulièrement. »

En parlant ainsi, il enfourcha lestement sa monture, lui enfonça ses deux éperons dans le ventre, et, sans s’inquiéter de son guide qui le suivait à grand’peine, il partit comme un trait dans la direction du nord, soulevant des tourbillons de poussière sur ce chemin que Consuelo venait de contempler si longtemps, et où elle s’attendait si peu à voir passer comme une vision fatale l’ennemi de sa vie, l’éternel souci de son cœur.

Elle le suivit des yeux dans un état de stupeur impossible à exprimer. Glacée par le dégoût et la crainte, tant qu’il avait été à portée de sa voix, elle s’était tenue cachée et tremblante. Mais quand elle le vit s’éloigner, quand elle songea qu’elle allait le perdre de vue et peut-être pour toujours, elle ne sentit plus qu’un horrible désespoir. Elle s’élança sur le rocher, pour le voir plus longtemps ; et l’indestructible amour qu’elle lui portait se réveillant avec délire, elle voulut crier vers lui pour l’appeler. Mais sa voix expira sur ses lèvres ; il lui sembla que la main de la mort serrait sa gorge et déchirait sa poitrine : ses yeux se voilèrent ; un bruit sourd comme celui de la mer gronda dans ses oreilles ; et, en retombant épuisée au bas du rocher, elle se trouva dans les bras d’Albert, qui s’était approché sans qu’elle prît garde à