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consuelo.

goût de cette destinée affreuse, puisque vous regardez toujours au-delà de votre vie présente, et que vous pleurez sur vous comme sur un criminel condamné à l’être encore.

— Non, grâce au Père tout-puissant des âmes, qui les reprend et les retrempe dans l’amour de son sein pour les rendre à l’activité de la vie ! s’écria Rudolstadt en levant ses bras vers le ciel ; non, je n’ai conservé aucun instinct de violence et de férocité. C’est bien assez de savoir que j’ai été condamné à traverser, le glaive et la torche à la main, ces temps barbares que nous appelions, dans notre langage fanatique et hardi, le temps du zèle et de la fureur. Mais vous ne savez point l’histoire, sublime enfant ; vous ne comprenez pas le passé ; et les destinées des nations, où vous avez toujours eu sans doute une mission de paix, un rôle d’ange consolateur, sont devant vos yeux comme des énigmes. Il faut que vous sachiez pourtant quelque chose de ces effrayantes vérités, et que vous ayez une idée de ce que la justice de Dieu commande parfois aux hommes infortunés.

— Parlez donc, Albert ; expliquez-moi ce que de vaines disputes sur les cérémonies de la communion ont pu avoir de si important et de si sacré de part ou d’autre, pour que les nations se soient égorgées au nom de la divine Eucharistie.

— Vous avez raison de l’appeler divine, répondit Albert en s’asseyant auprès de Consuelo sur le bord de la source. Ce simulacre de l’égalité, cette cérémonie instituée par un être divin entre tous les hommes, pour éterniser le principe de la fraternité, ne mérite pas moins de votre bouche, ô vous qui êtes l’égale des plus grandes puissances et des plus nobles créatures dont puisse s’enorgueillir la race humaine ! Et cependant il est encore des êtres vaniteux et insensés qui vous regarderont comme