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consuelo.

cendu dans les ténèbres où l’ignorance m’avait jeté, et où je subissais, dans les flammes du désir et de l’indignation, les mêmes tourments que lui ont fait endurer sur sa croix les scribes et les pharisiens de tous les temps. Me voici pour jamais avec vos enfants ; car il a rompu mes chaînes, il a éteint mon bûcher, il m’a réconcilié avec Dieu et avec vous. Et désormais la ruse et la peur ne seront plus la loi et le partage du faible, mais la fierté et la volonté. C’est lui, Jésus, qui est le miséricordieux, le doux, le tendre, et le juste : moi, je suis le juste aussi ; mais je suis le fort, le belliqueux, le sévère, et le persévérant. Ô peuple ! ne reconnais-tu pas celui qui t’a parlé dans le secret de ton cœur, depuis que tu existes, et qui, dans toutes tes détresses, t’a soulagé en te disant : Cherche le bonheur, n’y renonce pas ! Le bonheur t’est dû, exige-le, et tu l’auras ! Ne vois-tu pas sur mon front toutes tes souffrances, et sur mes membres meurtris la cicatrice des fers que tu as portés ? Bois le calice que je t’apporte, tu y trouveras mes larmes mêlées à celles du Christ et aux tiennes ; tu les sentiras aussi brûlantes, et tu les boiras aussi salutaires ! »

Cette hallucination remplit de douleur et de pitié le cœur de Consuelo. Elle croyait voir et entendre l’ange déchu pleurer et gémir auprès d’elle. Elle le voyait grand, pâle, et beau, avec ses longs cheveux en désordre sur son front foudroyé, mais toujours fier et levé vers le ciel. Elle l’admirait en frissonnant encore par habitude de le craindre, et pourtant elle l’aimait de cet amour fraternel et pieux qu’inspire la vue des puissantes infortunes. Il lui semblait qu’au milieu de la communion des frères bohêmes, c’était à elle qu’il s’adressait ; qu’il lui reprochait doucement sa méfiance et sa peur, et qu’il l’attirait vers lui par un regard magnétique auquel il lui était impos-