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consuelo.

sible de résister. Fascinée, hors d’elle-même, elle se leva, et s’élança vers lui les bras ouverts, en fléchissant les genoux. Albert laissa échapper son violon, qui rendit un son plaintif en tombant, et reçut la jeune fille dans ses bras en poussant un cri de surprise et de transport. C’était lui que Consuelo écoutait et regardait, en rêvant à l’ange rebelle ; c’était sa figure, en tout semblable à l’image qu’elle s’en était formée, qui l’avait attirée et subjuguée ; c’était contre son cœur qu’elle venait appuyer le sien, en disant d’une voix étouffée : « À toi ! à toi ! ange de douleur ; à toi et à Dieu pour toujours ! »

Mais à peine les lèvres tremblantes d’Albert eurent-elles effleuré les siennes, qu’elle sentit un froid mortel et de cuisantes douleurs glacer et embraser tour à tour sa poitrine et son cerveau. Enlevée brusquement à son illusion, elle éprouva un choc si violent dans tout son être qu’elle se crut près de mourir ; et, s’arrachant des bras du comte, elle alla tomber contre les ossements de l’autel, dont une partie s’écroula sur elle avec un bruit affreux. En se voyant couverte de ces débris humains, et en regardant Albert qu’elle venait de presser dans ses bras et de rendre en quelque sorte maître de son âme et de sa liberté dans un moment d’exaltation insensée, elle éprouva une terreur et une angoisse si horribles, qu’elle cacha son visage dans ses cheveux épars en criant avec des sanglots : « Hors d’ici ! loin d’ici ! Au nom du ciel, de l’air, du jour ! Ô mon Dieu ! tirez-moi de ce sépulcre, et rendez-moi à la lumière du soleil ! »

Albert, la voyant pâlir et délirer, s’élança vers elle, et voulut la prendre dans ses bras pour la porter hors du souterrain. Mais, dans son épouvante, elle ne le comprit pas ; et, se relevant avec force, elle se mit à fuir vers le fond de la caverne, au hasard et sans tenir compte des obstacles, des bras sinueux de la source qui se