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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/179

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consuelo.

n’avait fait que partager mes détresses et subir mes orages.

— Vous parlez de Zdenko ? Mais que savez-vous si Dieu ne m’avait pas destinée à le guérir, lui aussi ? Vous voyez bien que j’avais déjà quelque pouvoir sur lui, puisque j’avais réussi à le convaincre d’un mot, lorsque sa main était levée sur moi pour me tuer.

— Ô mon Dieu, il est vrai, j’ai manqué de foi, j’ai eu peur. Je connaissais les serments de Zdenko. Il m’avait fait malgré moi celui de ne vivre que pour moi, et il l’avait tenu depuis que j’existe, en mon absence comme avant et depuis mon retour. Lorsqu’il jurait de vous détruire, je ne pensais même pas qu’il fût possible d’arrêter l’effet de sa résolution, et je pris le parti de l’offenser, de le bannir, de le briser, de le détruire lui-même.

— De le détruire, mon Dieu ! Que signifie ce mot dans votre bouche, Albert ? Où est Zdenko ?

— Vous me demandez comme Dieu à Caïn : Qu’as-tu fait de ton frère ?

— Ô ciel, ciel ! Vous ne l’avez pas tué, Albert ! »

Consuelo, en laissant échapper cette parole terrible, s’était attachée avec énergie au bras d’Albert, et le regardait avec un effroi mêlé d’une douloureuse pitié. Elle recula terrifiée de l’expression fière et froide que prit ce visage pâle, où la douleur semblait parfois s’être pétrifiée.

« Je ne l’ai pas tué, répondit-il, et pourtant je lui ai ôté la vie, à coup sûr. Oseriez-vous donc m’en faire un crime, vous pour qui je tuerais peut-être mon propre père de la même manière ; vous pour qui je braverais tous les remords, et briserais tous les liens les plus chers, les existences les plus sacrées ? Si j’ai préféré, à la crainte de vous voir assassiner par un fou, le regret et le repentir qui me rongent, avez-vous assez peu de pitié dans le cœur pour remettre toujours cette douleur sous