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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/204

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consuelo.

condamner mes intentions. Ce n’est point pour vous ordonner de quitter ma maison, mais pour vous supplier à mains jointes d’y rester toute votre vie, que je vous ai demandé de m’écouter.

— Toute ma vie ! répéta Consuelo en retombant sur son siège, partagée entre le bien que lui faisait cette réparation à sa dignité et l’effroi que lui causait une pareille offre. Toute ma vie ! Votre seigneurie ne songe pas à ce qu’elle me fait l’honneur de me dire.

— J’y ai beaucoup songé, ma fille, répondit le comte avec un sourire mélancolique, et je sens que je ne dois pas m’en repentir. Mon fils vous aime éperdument, vous avez tout pouvoir sur son âme. C’est vous qui me l’avez rendu, vous qui avez été le chercher dans un endroit mystérieux qu’il ne veut pas me faire connaître, mais où nulle autre qu’une mère ou une sainte, m’a-t-il dit, n’eût osé pénétrer. C’est vous qui avez risqué votre vie pour le sauver de l’isolement et du délire où il se consumait. C’est grâce à vous qu’il a cessé de nous causer, par ses absences, d’affreuses inquiétudes. C’est vous qui lui avez rendu le calme, la santé, la raison, en un mot. Car il ne faut pas se le dissimuler, mon pauvre enfant était fou, et il est certain qu’il ne l’est plus. Nous avons passé presque toute la nuit à causer ensemble, et il m’a montré une sagesse supérieure à la mienne. Je savais que vous deviez sortir avec lui ce matin. Je l’avais donc autorisé à vous demander ce que vous n’avez pas voulu écouter… Vous aviez peur de moi, chère Consuelo ! Vous pensiez que le vieux Rudolstadt, encroûté dans ses préjugés nobiliaires, aurait honte de vous devoir son fils. Eh bien, vous vous trompiez. Le vieux Rudolstadt a eu de l’orgueil et des préjugés sans doute ; il en a peut-être encore, il ne veut pas se farder devant vous ; mais il les abjure, et, dans l’élan d’une reconnaissance sans bornes,