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consuelo.

amour, et sa fierté enfantine. Ses yeux se remplissaient de larmes, et les traits enjoués qui faisaient rire les autres pénétraient son cœur d’un attendrissement profond.

Après les chansons, le comte Christian demanda des cantiques.

« Oh ! pour cela, dit Anzoleto, je sais tous ceux qu’on chante à Venise ; mais ils sont à deux voix, et si ma sœur, qui les sait aussi, ne veut pas les chanter avec moi, je ne pourrai satisfaire vos seigneuries. »

On pria aussitôt Consuelo de chanter. Elle s’en défendit longtemps, quoiqu’elle en éprouvât une vive tentation. Enfin, cédant aux instances de ce bon Christian, qui s’évertuait à la réconcilier avec son frère en se montrant tout réconcilié lui-même, elle s’assit auprès d’Anzoleto, et commença en tremblant un de ces longs cantiques à deux parties, divisés en strophes de trois vers, que l’on entend à Venise, dans les temps de dévotion, durant des nuits entières, autour de toutes les madones des carrefours. Leur rythme est plutôt animé que triste ; mais, dans la monotonie de leur refrain et dans la poésie de leurs paroles, empreintes d’une piété un peu païenne, il y a une mélancolie suave qui vous gagne peu à peu et finit par vous envahir.

Consuelo les chanta d’une voix douce et voilée, à l’imitation des femmes de Venise, et Anzoleto avec l’accent un peu rauque et guttural des jeunes gens du pays. Il improvisa en même temps sur le clavecin un accompagnement faible, continu, et frais, qui rappela à sa compagne le murmure de l’eau sur les dalles, et le souffle du vent dans les pampres. Elle se crut à Venise, au milieu d’une belle nuit d’été, seule au pied d’une de ces chapelles en plein air qu’ombragent des berceaux de vignes, et qu’éclaire une lampe vacillante reflétée dans les eaux légèrement ridées du canal. Oh ! quelle différence entre