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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/223

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consuelo.

l’émotion sinistre et déchirante qu’elle avait éprouvée le matin en écoutant le violon d’Albert, au bord d’une autre onde immobile, noire, muette, et pleine de fantômes, et cette vision de Venise au beau ciel, aux douces mélodies, aux flots d’azur sillonnés de rapides flambeaux ou d’étoiles resplendissantes ! Anzoleto lui rendait ce magnifique spectacle, où se concentrait pour elle l’idée de la vie et de la liberté ; tandis que la caverne, les chants bizarres et farouches de l’antique Bohême, les ossements éclairés de torches lugubres et reflétés dans une onde pleine peut-être des mêmes reliques effrayantes ; et au milieu de tout cela, la figure pâle et ardente de l’ascétique Albert, la pensée d’un monde inconnu, l’apparition d’une scène symbolique, et l’émotion douloureuse d’une fascination incompréhensible, c’en était trop pour l’âme paisible et simple de Consuelo. Pour entrer dans cette région des idées abstraites, il lui fallait faire un effort dont son imagination vive était capable, mais où son être se brisait, torturé par de mystérieuses souffrances et de fatigants prestiges. Son organisation méridionale, plus encore que son éducation, se refusait à cette initiation austère d’un amour mystique. Albert était pour elle le génie du Nord, profond, puissant, sublime parfois, mais toujours triste, comme le vent des nuits glacées et la voix souterraine des torrents d’hiver. C’était l’âme rêveuse et investigatrice qui interroge et symbolise toutes choses, les nuits d’orage, la course des météores, les harmonies sauvages de la forêt, et l’inscription effacée des antiques tombeaux. Anzoleto, c’était au contraire la vie méridionale, la matière embrasée et fécondée par le grand soleil, par la pleine lumière, ne tirant sa poésie que de l’intensité de sa végétation, et son orgueil que de la richesse de son principe organique. C’était la vie du sentiment avec l’âpreté aux jouissances, le sans-souci et