Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
consuelo.

rôles appropriés à notre situation, reprit Joseph. Nous ne pouvons passer que pour ce que nous sommes (vous du moins pour le moment), de pauvres artistes ambulants ; et, comme c’est la coutume du métier de s’habiller comme on peut, avec ce que l’on trouve, et selon l’argent qu’on a ; comme on voit souvent les troubadours de notre espèce traîner par les champs la défroque d’un marquis ou celle d’un soldat, nous pouvons bien avoir, moi, l’habit noir râpé d’un petit professeur, et vous la toilette, inusitée dans ce pays-ci, d’un villageois de la Hongrie. Nous ferons même bien de dire si l’on nous interroge, que nous avons été dernièrement faire une tournée de ce côté-là. Je pourrai parler ex professo du célèbre village de Rohrau que personne ne connaît, et de la superbe ville de Haimburg dont personne ne se soucie. Quant à vous, comme votre petit accent si joli vous trahira toujours, vous ferez bien de ne pas nier que vous êtes italien et chanteur de profession.

— À propos, il faut que nous ayons des noms de guerre, c’est l’usage : le vôtre est tout trouvé pour moi. Je dois, conformément à mes manières italiennes, vous appeler Beppo, c’est l’abréviation de Joseph.

— Appelez-moi comme vous voudrez. J’ai l’avantage d’être aussi inconnu sous un nom que sous un autre. Vous, c’est différent. Il vous faut un nom absolument : lequel choisissez-vous ?

— La première abréviation vénitienne venue, Nello, Maso, Renzo, Zoto… Oh ! non pas celui-là, s’écria-t-elle après avoir laissé échapper par habitude la contraction enfantine du nom d’Anzoleto.

— Pourquoi pas celui-là ? reprit Joseph qui remarqua l’énergie de son exclamation.

— Il me porterait malheur. On dit qu’il y a des noms comme cela.