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consuelo.

à larges bords retroussés sur les oreilles comme les portent les paysans des vallées danubiennes.

« Si vous commencez par nous jeter dans le luxe, lui dit-elle en essayant cette nouvelle coiffure, songez que le pain pourra bien manquer vers la fin du voyage.

— Le pain vous manquer ! s’écria Joseph vivement ; j’aimerais mieux tendre la main aux voyageurs, faire des cabrioles sur les places publiques pour recevoir des gros sous ! que sais-je ? Oh ! non, vous ne manquerez de rien avec moi. » Et voyant que son enthousiasme étonnait un peu Consuelo, il ajouta en tâchant de rabaisser ses bons sentiments : « Songez, signor Bertoni, que mon avenir dépend de vous, que ma fortune est dans vos mains, et qu’il est de mes intérêts de vous ramener saine et sauve à maître Porpora. »

L’idée que son compagnon pouvait bien tomber subitement amoureux d’elle ne vint pas à Consuelo. Les femmes chastes et simples ont rarement ces prévisions, que les coquettes ont, au contraire, en toute rencontre, peut-être à cause de la préoccupation où elles sont d’en faire naître la cause. En outre, il est rare qu’une femme très-jeune ne regarde pas comme un enfant un homme de son âge. Consuelo avait deux ans de plus qu’Haydn, et ce dernier était si petit et si malingre qu’on lui en eût donné à peine quinze. Elle savait bien qu’il en avait davantage ; mais elle ne pouvait s’aviser de penser que son imagination et ses sens fussent déjà éveillés par l’amour. Elle s’aperçut cependant d’une émotion extraordinaire lorsque, s’étant arrêtée pour reprendre haleine dans un autre endroit d’où elle admirait un des beaux sites qui s’offrent à chaque pas dans ces régions élevées, elle surprit les regards de Joseph attachés sur les siens avec une sorte d’extase.

« Qu’avez-vous, ami Beppo ? lui dit-elle naïvement. Il