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consuelo.

— Je vous le dirai quand je le comprendrai bien moi-même ; mais c’est quelque chose de grand, n’en doutez pas, Joseph. Allons, partons et n’oublions pas le violon, votre unique propriété, ami Beppo, la source de votre future opulence. »

Ils commencèrent par faire leurs petites provisions pour le déjeuner qu’ils méditaient de manger sur l’herbe dans quelque lieu romantique. Mais quand Joseph tira la bourse et voulut payer, la fermière sourit, et refusa sans affectation, quoique avec fermeté. Quelles que fussent les instances de Consuelo, elle ne voulut jamais rien accepter, et même elle surveilla ses jeunes hôtes de manière à ce qu’ils ne pussent pas glisser le plus léger don aux enfants.

« Rappelez-vous, dit-elle enfin avec un peu de hauteur à Joseph qui insistait, que mon mari est noble de naissance, et croyez bien que le malheur ne l’a pas avili au point de lui faire vendre l’hospitalité.

— Cette fierté-là me semble un peu outrée, dit Joseph à sa compagne lorsqu’ils furent sur le chemin. Il y a plus d’orgueil que de charité dans le sentiment qui les anime.

— Je n’y veux voir que de la charité, répondit Consuelo, et j’ai le cœur gros de honte et de repentir en songeant que je n’ai pu supporter l’incommodité de cette maison qui n’a pas craint d’être souillée et surchargée par la présence du vagabond que je représente. Ah ! maudite recherche ! sotte délicatesse des enfants gâtés de ce monde ! tu es une maladie, puisque tu n’es la santé pour les uns qu’au détriment des autres !

— Pour une grande artiste comme vous l’êtes, je vous trouve trop sensible aux choses d’ici-bas, lui dit Joseph. Il me semble qu’il faut à l’artiste un peu plus d’indifférence et d’oubli de tout ce qui ne tient pas à sa profes-