Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
consuelo.

sion. On disait dans l’auberge de Klatau, où j’ai entendu parler de vous et du château des Géants, que le comte Albert de Rudolstadt était un grand philosophe dans sa bizarrerie. Vous avez senti, signora, qu’on ne pouvait être artiste et philosophe en même temps ; c’est pourquoi vous avez pris la fuite. Ne vous affectez donc plus du malheur des humains, et reprenons notre leçon d’hier.

— Je le veux bien, Beppo ; mais sachez auparavant que le comte Albert est un plus grand artiste que nous, tout philosophe qu’il est.

— En vérité ! Il ne lui manque donc rien pour être aimé ? reprit Joseph avec un soupir.

— Rien à mes yeux que d’être pauvre et sans naissance, répondit Consuelo. »

Et doucement gagnée par l’attention que Joseph lui prêtait, stimulée par d’autres questions naïves qu’il lui adressa en tremblant, elle se laissa entraîner au plaisir de lui parler assez longuement de son fiancé. Chaque réponse amenait une explication, et, de détails en détails, elle en vint à lui raconter minutieusement toutes les particularités de l’affection qu’Albert lui avait inspirée. Peut-être cette confiance absolue en un jeune homme qu’elle ne connaissait que depuis la veille eût-elle été inconvenante en toute autre situation. Il est vrai que cette situation bizarre était seule capable de la faire naître. Quoi qu’il en soit, Consuelo céda à un besoin irrésistible de se rappeler à elle-même et de confier à un cœur ami les vertus de son fiancé ; et, tout en parlant ainsi, elle sentit, avec la même satisfaction qu’on éprouve à faire l’essai de ses forces après une maladie grave, qu’elle aimait Albert plus qu’elle ne s’en était flattée en lui promettant de travailler à n’aimer que lui. Son imagination s’exaltait sans inquiétude, à mesure qu’elle s’éloignait de lui ; et tout ce qu’il y avait de beau, de