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consuelo.

— Il a l’accent saxon, quoiqu’il parle bien le bas autrichien. Je le crois du nord de l’Allemagne, prussien peut-être !

— Tant pis ; je n’aime guère les prussiens, et le roi Frédéric encore moins que toute sa nation, d’après tout ce que j’ai entendu raconter de lui au château des Géants.

— En ce cas, vous vous plairez à Vienne ; ce roi batailleur et philosophe n’a de partisans ni à la cour, ni à la ville. »

En devisant ainsi, ils gagnèrent l’épaisseur des bois, et suivirent des sentiers qui tantôt se perdaient sous les sapins, et tantôt côtoyaient un amphithéâtre de montagnes accidentées. Consuelo trouvait ces monts hyrcinio-carpathiens plus agréables que sublimes ; après avoir traversé maintes fois les Alpes, elle n’éprouvait pas les mêmes transports que Joseph, qui n’avait jamais vu de cimes aussi majestueuses. Les impressions de celui-ci le portaient donc à l’enthousiasme, tandis que sa compagne se sentait plus disposée à la rêverie. D’ailleurs Consuelo était très-fatiguée ce jour-là, et faisait de grands efforts pour le dissimuler, afin de ne point affliger Joseph, qui ne s’en affligeait déjà que trop.

Ils prirent du sommeil pendant quelques heures, et après le repas et la musique, ils repartirent, au coucher du soleil. Mais bientôt Consuelo, quoiqu’elle eût baigné longtemps ses pieds délicats dans le cristal des fontaines, à la manière des héroïnes de l’idylle, sentit ses talons se déchirer sur les cailloux, et fut contrainte d’avouer qu’elle ne pouvait faire son étape de nuit. Malheureusement le pays était tout à fait désert de ce côté-là : pas une cabane, pas un moutier, pas un chalet sur le versant de la Moldaw. Joseph était désespéré. La nuit était trop froide pour permettre le repos en plein air. À une ouverture entre deux collines, ils aperçurent enfin des lumières au