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consuelo.

— Je sais à quoi m’en tenir maintenant sur le sort qui nous attendait, répondit Consuelo ; j’ai entendu parler des abominations de ce régime militaire, de la mauvaise foi et de la cruauté des enlèvements de recrues. Je vois, à la manière dont le pauvre grenadier était traité par ces misérables, qu’on ne m’avait rien exagéré. Oh ! le grand Frédéric !…

— Sachez, jeune homme, dit le baron avec une emphase un peu ironique, que Sa Majesté ignore les moyens, et ne connaît que les résultats.

— Dont elle profite, sans se soucier du reste, reprit Consuelo animée par une indignation irrésistible. Oh ! je le sais, monsieur le baron, les rois n’ont jamais tort, et sont innocents de tout le mal qu’on fait pour leur plaire.

— Le drôle a de l’esprit ! s’écria le comte en riant ; mais soyez prudent, mon joli petit tambour, et n’oubliez pas que vous parlez devant un officier supérieur du régiment où vous deviez peut-être entrer.

— Sachant me taire, monsieur le comte, je ne révoque jamais en doute la discrétion d’autrui.

— Vous l’entendez, baron ! il vous promet le silence que vous n’aviez pas songé à lui demander ! Allons, c’est un charmant enfant.

— Et je me fie à lui de tout mon cœur, repartit le baron. Comte, vous devriez l’enrôler, vous, et l’offrir comme page à Son Altesse.

— C’est fait, s’il y consent, dit le comte en riant. Voulez-vous accepter cet engagement, beaucoup plus doux que celui du service prussien ? Ah ! mon enfant ! il ne s’agira ni de souffler dans des chaudrons, ni de battre le rappel avant le jour, ni de recevoir la schlague et de manger du pain de briques pilées, mais de porter la queue et l’éventail d’une dame admirablement belle et gracieuse, d’habiter un palais de fées, de présider aux