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consuelo.

étrangement la lumière de ta foi et de ta raison, puisque tu redoutes ton ami, ton serviteur et ton esclave ? Reviens à toi, mon ange ; regarde-moi. Me voici à tes pieds, et pour toujours, le front dans la poussière. Que veux-tu, qu’ordonnes-tu ? Veux-tu sortir d’ici à l’instant même, sans que je te suive, sans que je reparaisse jamais devant toi ? Quel sacrifice exiges-tu ? Quel serment veux-tu que je te fasse ? Je puis te promettre tout et t’obéir en tout. Oui, Consuelo, je peux même devenir un homme tranquille, soumis, et, en apparence, aussi raisonnable que les autres. Est-ce ainsi que je te serai moins amer et moins effrayant ? Jusqu’ici je n’ai jamais pu ce que j’ai voulu ; mais tout ce que tu voudras désormais me sera accordé. Je mourrai peut-être en me transformant selon ton désir ; mais c’est à mon tour de te dire que ma vie a toujours été empoisonnée, et que je ne pourrais pas la regretter en la perdant pour toi.

— Cher et généreux Albert, dit Consuelo rassurée et attendrie, expliquez-vous mieux, et faites enfin que je connaisse le fond de cette âme impénétrable. Vous êtes à mes yeux un homme supérieur à tous les autres ; et, dès le premier instant où je vous ai vu, j’ai senti pour vous un respect et une sympathie que je n’ai point de raisons pour vous dissimuler. J’ai toujours entendu dire que vous étiez insensé, je n’ai pas pu le croire. Tout ce qu’on me racontait de vous ajoutait à mon estime et à ma confiance. Cependant il m’a bien fallu reconnaître que vous étiez accablé d’un mal moral profond et bizarre. Je me suis, présomptueusement peut-être, mais naïvement persuadée que je pouvais adoucir ce mal. Vous-même avez travaillé à me le faire croire. Je suis venue vous trouver, et voilà que vous me dites sur moi et sur vous-même des choses d’une profondeur et d’une vérité qui me rempliraient d’une vénération sans bornes, si vous