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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

vôtre. Je suis bien touchée de la gratitude que M. Ingres croit me devoir. Je n’ai obéi qu’à la vérité en le plaçant à la tête des artistes et en louant son œuvre magnifique. Ce faible hommage étant arrivé jusqu’à lui, je ne refuse pas ses remerciements : je les reçois, au contraire, avec un grand sentiment d’orgueil et de joie.

J’ai reçu votre tabac, qui est très bon, et je vous engage à ne pas mépriser la sublime profession de contrebandier, dans laquelle vous débutez si agréablement. Ne vous mettez pourtant pas adosso une amende considérable. Vous savez qu’il y a deux choses à craindre dans la vie : l’indifferenza d’un ministra e l’ira d’un doganiere : c’est un proverbe vénitien. Vous avez échappé à la première, gardez-vous de la seconde.

Dites-moi donc, Calamajo benedetto, si vous ne faites plus rien de mon portrait, ne pourriez-vous me l’envoyer ? vous me feriez joliment plaisir ; car j’en parle à tous, et tous désirent le voir.

Vous m’avez mieux traitée que madame d’Agoult ; vous m’avez vue avec les yeux du cœur, et elle, avec ceux de la raison. Vous l’avez un peu vieillie et rendue plus sévère qu’elle n’est, même dans ses moments sérieux. Du reste, c’est un admirable portrait, les cheveux semblaient devoir être inimitables, vous les avez rendus aussi beaux qu’ils le sont en nature. Cette tête grave et noble est digne de Van Dyck. Mais, pour la ressemblance, le portrait de Franz est plus complet.