Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/180

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fou et pourrait bien te rendre malade aussi. Ce n’est pas la lune, c’est le soleil que je te conseillais ; nous ne sommes pas des chouettes, que diable ! Nous venons d’avoir trois jours de printemps. Je parie que tu n’as pas monté à mon cher verger, qui est si joli et que j’aime tant. Ne fût-ce qu’en souvenir de moi, tu devrais le grimper tous les jours de beau temps à midi. Le travail serait plus coulant après et regagnerait le temps perdu et au delà.

Tu es donc dans des ennuis d’argent ? Je ne sais plus ce que c’est depuis que je n’ai plus rien au monde. Je vis de ma journée comme le prolétaire ; quand je ne pourrai plus faire ma journée, je serai emballée pour l’autre monde, et alors je n’aurai plus besoin de rien. Mais il faut que tu vives, toi. Comment vivre de ta plume si tu te laisses toujours duper et tondre ? Ce n’est pas moi qui t’enseignerai le moyen de te défendre. Mais n’as-tu pas un ami qui sache agir pour toi ? Hélas oui, le monde va à la diable de ce côté-là et je parlais de toi, l’autre jour, à un bien cher ami, en lui montrant l’artiste, celui qui est devenu si rare, maudissant la nécessité de penser au côté matériel de la vie. Je t’envoie la dernière page de sa lettre ; tu verras que tu as là un ami dont tu ne te doutes guère, et dont la signature te surprendra.

Non, je n’irai pas à Cannes malgré une forte tentation ! Figure-toi qu’hier, je reçois une petite caisse remplie de fleurs coupées en pleine terre, il y a déjà cinq ou six jours ; car l’envoi m’a cherchée à Paris et à