Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/205

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manger, sans faire grand commerce ; parlant une langue à part que les gens du pays ne comprennent pas ; ne demeurant nulle part que dans ces grandes barques échouées sur le sable, quand la tempête les tourmente dans leurs anses de rochers ; se mariant entre eux, inoffensifs et sombres, timides ou sauvages ; ne répondant pas quand on leur parle. Je ne sais plus comment on les appelle. Le nom que l’on m’a dit a glissé, mais je pourrais me le faire redire. Naturellement les gens du pays les abominent et disent qu’ils n’ont aucune espèce de religion : si cela est, ils doivent être supérieurs à nous. Je m’étais aventurée toute seule au milieu d’eux. « Bonjour, messieurs. » Réponse : un léger signe de tête. Je regarde leur campement, personne ne se dérange. Il semble qu’on ne me voie pas. Je leur demande si ma curiosité les contrarie. — Un haussement d’épaules comme pour dire : « Qu’est-ce que ça nous fait ? » Je m’adresse à un jeune garçon qui refaisait très adroitement des mailles à un filet ; je lui montre une pièce de cinq francs en or. Il regarde d’un autre côté. Je lui en montre une en argent. Il daigne la regarder. « La veux-tu ? » Il baisse le nez sur son ouvrage. Je la place près de lui, il ne bouge pas. Je m’éloigne, il me suit des yeux. Quand il croit que je ne le vois plus, il prend la pièce et va causer avec un groupe. J’ignore ce qui se passe. J’imagine qu’on joint tout cela au fonds commun. Je me mets à herboriser à quelque distance, en vue, pour savoir si on viendra me demander autre