DCCXCV
À SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME),
À PRANGINS
Je n’ai reçu votre lettre qu’au bout de douze jours. Les correspondances de Paris en mettent quatre et cinq pour nous arriver. Nous étions mieux servis par les Prussiens que nous ne le sommes maintenant. Je préfère vous écrire encore par Nyon, puisque vous avez toujours reçu par cette voie.
Oui, mon grand ami, ce retour aux idées étroites de l’orléanisme est fort possible, bien que M. Thiers semble décidé à en combattre l’excès. Le pourra-t-il d’ailleurs ? La majorité que nous avons nommée, pour échapper à la dictature d’un parti insensé et impuissant, est une majorité réactionnaire et bête ; je ne m’apprête pas à me réjouir. Il faut dix ans pour qu’un parti nouveau, las des uns et des autres, se dessine et sauvegarde la liberté en dépit de tout ; et, d’ici là, elle pourra bien être escamotée ou poussée jusqu’à l’anarchie. Tout ce qui peut arriver est effrayant et désolant, j’en conviens ! mais l’espoir est tenace dans mon pauvre cœur meurtri et désemparé.
Je flotte au hasard sur la houle, cherchant toujours la terre, parce que je sais qu’elle existe et que toute