Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/13

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que le fond était généreux, c’est surtout qu’elle aimait ma mère et qu’elle l’a toujours aimée. C’était tout le contraire avec Mlle Julie : celle-ci était douce, polie, n’élevait jamais la voix, montrait une patience angélique en toutes choses ; mais elle manquait de franchise, et c’est là un caractère que je n’ai jamais pu supporter. C’était une fille d’un esprit supérieur, je n’hésite pas à le dire. Sortie de sa petite ville de La Châtre sans avoir rien appris, sachant à peine lire et écrire, elle avait occupé ses longs loisirs de Nohant à lire toute espèce de livres. D’abord ce furent des romans, dont toutes les femmes de chambre ont la passion, ce qui fait que je pense souvent à elles quand j’en écris. Ensuite ce furent des livres d’histoire, et enfin des ouvrages de philosophie. Elle connaissait son Voltaire mieux que ma grand’mère elle-même, et j’ai vu dans ses mains le Contrat social, de Rousseau, qu’elle comprenait fort bien. Tous les mémoires connus ont été avalés et retenus par cette tête froide, positive et sérieuse. Elle était versée dans toutes les intrigues de la cour de Louis XIV, de Louis XV, de la czarine Catherine, de Marie-Thérèse et du grand Frédéric, comme un vieux diplomate, et si l’on était embarrassé de rappeler quelque parenté de seigneurs de l’ancienne France avec les grandes familles de l’Europe, on pouvait s’adresser à elle : elle avait cela au bout de son doigt. J’ignore si, dans sa vieillesse elle a conservé