Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/167

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moins, qu’elle ne reviendrait plus que de loin en loin, et je me jetai dans ses bras, à ses pieds ; je me roulai par terre, la suppliant de m’emmener, et lui disant que si elle ne le faisait pas, je me sauverais et que j’irais de Nohant à Paris, seule et à pied, pour la rejoindre.

Elle me prit sur ses genoux et tâcha de me faire comprendre sa situation. « Ta grand’mère, me dit-elle, peut me réduire à quinze cents francs si je t’emmène. — Quinze cents francs, m’écriai-je, mais c’est beaucoup, cela ! c’est bien assez pour nous trois. — Non, me dit-elle, ce ne serait pas assez pour Caroline et moi, car la pension et l’entretien de ta sœur m’en coûtent la moitié, et avec ce qui me reste, j’ai bien de la peine à vivre et à m’habiller. Tu saurais cela si tu avais la moindre idée de ce que c’est que l’argent. Eh bien, si je t’emmène, et qu’on me retire mille francs par an, nous serons si pauvres, si pauvres, que tu ne pourras pas le supporter et que tu me redemanderas ton Nohant et tes quinze mille livres de rente. — Jamais ! jamais ! m’écriai-je ; nous serons pauvres, mais nous serons ensemble : nous ne nous quitterons jamais, nous travaillerons, nous mangerons des haricots dans un petit grenier, comme dit Mlle Julie, où est le mal ? nous serons heureuses, on ne nous empêchera plus de nous aimer ! »

J’étais si convaincue, si ardente, si désespérée, que ma mère fut ébranlée. « C’est peut-être vrai,