Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/197

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elle ne se connaissait plus. Chaque jour l’impunité la rendait plus rude et plus cruelle, et en cela elle abusa étrangement de ma bonté ; car si je ne la fis point chasser (ma grand’mère ne lui eût certes pas pardonné d’avoir seulement levé la main sur moi), ce fut uniquement parce que je l’aimais, en dépit de son abominable humeur. Je suis ainsi faite, que je supporte longtemps, très longtemps ce qui est intolérable. Il est vrai que quand ma patience est lassée, je brise tout d’un coup et pour jamais.

Pourquoi aimais-je cette fille au point de me laisser opprimer et briser à chaque instant ? C’est bien simple, c’est qu’elle aimait ma mère, c’est qu’elle était encore la seule personne de chez nous qui me parlât d’elle quelquefois, et qui ne m’en parlât jamais qu’avec admiration et tendresse. Elle n’avait pas l’intelligence assez déliée pour voir jusqu’au fond de mon âme le chagrin qui me consumait, et pour comprendre que mes distractions, mes négligences, mes bouderies n’avaient pas d’autre cause : mais quand j’étais malade elle me soignait avec une tendresse extrême. Elle avait pour me désennuyer mille complaisances que je ne rencontrais point ailleurs ; si je courais le moindre danger, elle m’en tirait avec une présence d’esprit, un courage et une vigueur qui me rappelaient quelque chose de ma mère. Elle se serait jetée dans les flammes ou dans la mer pour me sauver ; enfin, ce que je