Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/199

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hiver elle était vêtue d’une robe d’indienne et dormait la fenêtre ouverte.

Je m’habituai donc à l’humiliation de mon esclavage, et j’y trouvai l’aliment d’une sorte de stoïcisme naturel dont j’avais peut-être besoin pour pouvoir vivre avec une sensibilité de cœur trop surexcitée. J’appris de moi-même à me raidir contre le malheur, et, à cet égard, j’étais assez encouragée par mon frère, qui, dans nos escapades, me disait en riant : « Ce soir, nous serons battus. » Lui, horriblement battu par Deschartres, prenait son parti avec un mélange de haine et d’insouciance. Il se trouvait vengé par la satire ; moi, je trouvais ma vengeance dans mon héroïsme et dans le pardon que j’accordais à ma bonne. Je me guindais même un peu pour me rehausser vis-à-vis de moi-même dans cette lutte de la force morale contre la force brutale, et lorsqu’un coup de poing sur la tête m’ébranlait les nerfs et remplissait mes yeux de larmes, je me cachais pour les essuyer. J’aurais rougi de les laisser voir.

J’aurais pourtant mieux fait de crier et de sangloter. Rose était bonne, elle eût eu des remords si elle se fût avisée qu’elle me faisait du mal. Mais peut-être bien aussi n’avait-elle pas conscience de ses voies de fait tant elle était impétueuse et irréfléchie. Un jour qu’elle m’apprenait à marquer mes bas, et que je prenais trois mailles au lieu de deux avec mon