Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/22

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de famille fort doux que ce dîner hebdomadaire qui réunissait invariablement les mêmes convives. Il s’est presque perdu dans la vie agitée et désordonnée que l’on mène aujourd’hui. C’était la manière la plus agréable et plus commode de se voir pour les gens de loisir et d’habitudes régulières. Mon grand-oncle avait pour cuisinière un cordon bleu qui, n’ayant jamais affaire qu’à des palais d’une expérience et d’un discernement consommés, mettait un amour-propre immense à les contenter. Mme Bourdieu, la gouvernante de mon oncle, et mon oncle lui-même, exerçaient une surveillance éclairée sur ces importans travaux. À cinq heures précises, nous arrivions, ma mère et moi, et nous trouvions déjà autour du feu ma grand’mère dans un vaste fauteuil placé vis-à-vis du vaste fauteuil de mon grand-oncle, et Mme de la Marlière entre eux, les pieds allongés sur les chenets, la jupe un peu relevée, et montrant deux maigres jambes chaussées de souliers très pointus. Mme de la Marlière était une ancienne amie intime de la feue comtesse de Provence, la femme de celui qui fut depuis Louis XVIII. Son mari, le général de la Marlière, était mort sur l’échafaud. Il est souvent question de cette dame dans les lettres de mon père, si l’on s’en souvient. C’était une personne fort bonne, fort gaie, expansive, babillarde, obligeante, dévouée, bruyante, railleuse, un peu cynique dans ses propos. Elle