Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/23

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n’était point du tout pieuse alors, et se gaussait des curés, voire même d’autre chose, avec une liberté extrême. À la Restauration, elle devint dévote, et elle a vécu jusqu’à l’âge de 98 ans, je crois, en odeur de sainteté : c’était, en somme, une excellente femme, sans préjugés au temps où je l’ai connue, et je ne pense pas qu’elle soit jamais devenue bigote et intolérante. Elle n’en avait guère le droit après avoir tenu si peu de compte des choses saintes pendant les trois quarts de sa vie. Elle était fort bonne pour moi, et comme c’était la seule des amies de ma grand’mère, qui n’eût aucune prévention contre ma mère, je lui témoignais plus de confiance et d’amitié qu’aux autres. Pourtant j’avoue qu’elle ne m’était pas naturellement sympathique. Sa voix claire, son accent méridional, ses étranges toilettes, son menton aigu dont elle me meurtrissait les joues en m’embrassant, et surtout la crudité de ses expressions burlesques, m’empêchaient de la prendre au sérieux et de trouver du plaisir à ses gâteries.

Mme Bourdieu allait et venait légèrement de la cuisine au salon ; elle n’avait guère alors qu’une quarantaine d’années : c’était une brune forte, replète et d’un type très accusé. Elle était de Dax, et avait un accent gascon encore plus sonore que celui de Mme de la Marlière. Elle appelait mon grand-oncle papa, et ma mère aussi avait cette habitude. Mme de la Marlière, qui