la couleur de ma pensée, et même je me souviens que je ne me gênais pas pour orner un peu la sécheresse de certains fonds. Je n’altérais point les faits essentiels, mais, quand un personnage insignifiant ou inexpliqué me tombait sous la main, obéissant à un besoin invincible d’art, je lui donnais un caractère quelconque que je déduisais assez logiquement de son rôle ou de la nature de son action dans le drame général. Incapable de me soumettre aveuglément au jugement de l’auteur, si je ne réhabilitais pas toujours ce qu’il condamnait, j’essayais du moins de l’expliquer et de l’excuser, et si je le trouvais trop froid pour les objets de mon enthousiasme, je me livrais à ma propre flamme, et je la répandais sur mon cahier dans des termes qui faisaient rire souvent ma grand’mère par leur naïveté d’exagération.
Enfin, quand je trouvais l’occasion de fourrer une petite description au milieu de mon récit, je ne m’en faisais pas faute. Pour cela une courte phrase du texte, une sèche indication me suffisaient. Mon imagination s’en emparait et brodait là-dessus ; je faisais intervenir le soleil ou l’orage, les fleurs, les ruines, les monumens, les chœurs, les sons de la flûte sacrée ou de la lyre d’Ionie, l’éclat des armes, le hennissement des coursiers, que sais-je ? J’étais classique en diable ; mais si je n’avais pas l’art de me trouver une forme nouvelle, j’avais le plaisir de sentir vivement,