Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/238

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savait la musique, certainement, mais il ne la sentait nullement, et il mettait peu de conscience à me la montrer. Il s’appelait M. Gayard, et il avait la figure et la tournure ridicules. Il portait toujours la queue ficelée, les ailes de pigeon et les grands habits carrés de l’ancien régime, quoiqu’il n’eût guère qu’une cinquantaine d’années. Sous la Restauration, on a vu pendant quelque temps des particuliers reprendre ces vieux usages de coiffure et d’habillement pour témoigner de leur attachement aux bons principes. D’autres ne les avaient jamais quittés, et c’était sans doute par habitude de gravité que M. Gayard conservait la poudre et les culottes courtes.

Il était pourtant médiocrement grave quand il n’était plus sous les yeux du curé, à la Châtre, et de ma grand’mère, à Nohant. Il arrivait le dimanche, à midi, se faisait servir un copieux déjeûner, remontait l’accord du piano et du clavecin, me donnait une leçon de deux heures, puis allait batifoler avec les servantes jusqu’au dîner. Là il mangeait comme quatre, parlait peu, me faisait jouer ensuite devant ma grand’mère un morceau qu’il m’avait seriné plutôt qu’expliqué, et s’en allait les poches pleines de friandises qu’il se faisait donner par les femmes de chambre.

Je faisais des progrès apparens avec ce professeur, et, en réalité, je n’apprenais rien du tout, et je perdais le respect et l’amour de la musique. Il m’apportait de la musique facile, bête, soi-