Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/274

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c’était horrible. Il grondait terriblement les bergères, mes douces compagnes, qui tremblaient devant lui et s’en allaient en pleurant, tandis que moi, plantée à son côté comme juge et comme partie intéressée en même temps, je prenais en exécration mon rôle de propriétaire et de maître, qui tôt ou tard devait me faire haïr. Haïr pour ma parcimonie ou railler pour mon insouciance, c’était l’écueil inévitable, et j’y suis tombée. Les paysans de chez nous ont un grand mépris pour mon incurie, et je passe parmi eux depuis longues années pour une espèce d’imbécile.

Quand je voulais aller d’un côté, Deschartres m’emmenait d’un autre. Nous partions pour la rivière, qui, dans tout son parcours, sous les saules et le long des écluses du petit ravin, offre une suite de paysages adorables, des ombrages frais et des fabriques rustiques du style le plus pittoresque. Mais, en route, Deschartres, armé de sa lunette de poche, voyait des oies dans un de nos blés. Il fallait remonter la côte aride, et, sous l’ardente chaleur de l’été, aller verbaliser sur ces oies, ou sur la chèvre qui pelait des ormeaux, déjà si pelés, que je ne comprends guère le mal qu’elle y pouvait faire. Et puis on surprenait dans un arbre touffu un gamin volant de la feuille. L’âne du voisin avait franchi la haie et tondait dans nos foins la largeur de sa langue. C’étaient des débits continuels à réprimer, des exécutions, des menaces, des querelles de