Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/273

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notions pratiques ! pas de logique, pas un grain de logique ! » Que dirait-il donc aujourd’hui s’il savait que, grâce à ses explications, j’ai pris une telle aversion pour la possession de la terre que je ne suis pas plus avancée à quarante-cinq ans que je ne l’étais à douze ! Je l’avoue à ma honte, je ne connais pas mes terres d’avec celles du voisin, et quand je me promène à trois pas de ma maison, j’ignore absolument chez qui je suis.

Il semblerait qu’il fît tout son possible, ce brave homme, pour me dégoûter à tout jamais de ce qu’il appelait l’agriculture. Moi, j’adorais déjà, j’ai toujours adoré la poésie des scènes champêtres, mais il ne voulait m’y laisser rien voir de ce que j’y voyais. Si j’admirais la physionomie imposante des grands bœufs ruminant dans les herbes, il fallait entendre toute l’histoire du marché où le prix de ce bœuf avait été discuté, et la surenchère de tel fermier, et les grandes raisons que Deschartres, secondé par un intelligent Marchois de sa connaissance, avait fait valoir pour le payer trente francs de moins. Et puis ce bœuf avait une maladie qu’il fallait connaître et examiner. Il avait le pied tendre, la corne usée, une maladie de peau, que sais-je ? Adieu la poésie et l’idéale sérénité de mon bœuf Apis, le roi des prairies. Ces bons moutons qui venaient m’étouffer de leurs empressemens pour manger dans mes poches, il fallait les voir trépaner parce qu’ils avaient une affection cérébrale ;