Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/40

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à une nouvelle chute. Il y avait encore deux ou trois vieillards dont les noms m’échappent et me reviendront peut-être en temps et lieu.

Mais qu’on se figure l’existence d’un enfant qui n’a point sucé les préjugés de la naissance avec le lait de sa mère, au milieu de ces tristes personnages d’un enjouement glacial ou d’une gravité lugubre ! J’étais déjà très artiste sans le savoir, artiste dans ma spécialité, qui est l’observation des personnes et des choses, bien longtemps avant de savoir que ma vocation serait de peindre bien ou mal des caractères et de décrire des intérieurs. Je subissais avec tristesse et lassitude les instincts de cette destinée. Je commençais à ne pouvoir plus m’abstraire dans mes rêveries, et malgré moi, le monde extérieur, la réalité, venait me presser de tout son poids et m’arracher aux chimères dont je m’étais nourrie dans la liberté de ma première existence. Malgré moi, je regardais et j’étudiais ces visages ravagés par la vieillesse, que ma grand’mère trouvait encore beaux par habitude et qui me paraissaient d’autant plus affreux que je les entendais vanter dans le passé. J’analysais les expressions de physionomie, les attitudes, les manières, le vide des paroles oiseuses, la lenteur des mouvemens, les infirmités, les perruques, les verrues, l’embonpoint désordonné, la maigreur cadavéreuse : toutes ces laideurs, toutes ces tristesses de la vieillesse, qui choquent quand elles ne sont pas