Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devenu pour moi, pour tout le monde, une commotion électrique et comme irrésistible. Certes, je m’abstenais désormais de tourner la pauvre comtesse en ridicule, et je faisais mon possible pour l’épargner quand les autres s’en mêlaient. Mais quand, pour la centième fois, elle se laissait prendre à la bougie de pomme qu’Anna ou Pauline plaçaient dans sa lanterne, et lorsqu’elle disait une parole pour l’autre avec le sang-froid d’une personne parfaitement distraite, en voyant toute la classe partir d’un seul éclat de rire, il me fallait en faire autant. Alors elle se tournait vers moi d’un air de détresse, et, comme Jules César à Brutus, elle me disait, en se drapant dans son grand châle vert : « Et vous aussi, Aurore ! » J’aurais bien voulu me repentir, mais elle avait une manière de prononcer les e muets qui sonnait comme un o. Anna la contrefaisait admirablement, et, se tournant vers moi, elle me criait : Auroro ! Auroro ! Je n’y pouvais tenir, le rire devenait nerveux. J’aurais ri dans le feu, comme on disait.

La gaîté alla si loin, que quelques cervelles échauffées la firent tourner en révolte. C’était à une époque de la Restauration où il y eut comme une épidémie de rébellion dans tous les lycées, dans les pensions et même dans les établissemens de notre sexe. Comme ces nouvelles nous arrivaient coup sur coup, avec le récit de circonstances tantôt graves, tantôt plaisantes, les plus