Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/596

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C’était comme un pressentiment intérieur ou comme un avertissement du ciel, car le moment approchait où je ne devais plus trouver en elle qu’un pauvre enfant à soigner et à gouverner.

Hélas ! il fut bien court, le temps arraché aux rigueurs de notre commune destinée, où, sortant moi-même des ténèbres de l’enfance, je pouvais enfin profiter de son influence morale et du bienfait intellectuel de son intimité. N’ayant plus aucun sujet de jalousie à propos de moi (Hippolyte aussi lui en avait causé quelques derniers accès), elle devenait adorable dans le tête-à-tête. Elle savait tant de choses et jugeait si bien, elle s’exprimait avec une simplicité si élégante, il y avait en elle tant de goût et d’élévation, que sa conversation était le meilleur des livres.

Nous passâmes ensemble les dernières soirées de février, à lire une partie du Génie du Christianisme de Chateaubriand. Elle n’aimait pas cette forme et le fond lui paraissait faux ; mais les nombreuses citations de l’ouvrage lui suggéraient des jugemens admirables sur les chefs-d’œuvre dont je lui lisais les fragmens. Je m’étonnais qu’elle m’eût si peu permis de lire avec elle ; je le lui disais, exprimant le charme que je goûtais dans de tels enseignemens, lorsqu’elle me dit un soir : « Arrête-toi, ma fille. Ce que tu me lis est si étrange que j’ai peur d’être malade et d’entendre autre chose que ce que j’écoute. Pourquoi me parles-tu de morts, de