Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/66

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était muette : mais cette absence de polémique donnait aux conversations et aux préoccupations des particuliers un caractère de partialité et de commérage extraordinaire. La louange officielle a fait plus de mal à Napoléon que ne lui en eussent fait vingt journaux hostiles. On était las de ces dithyrambes ampoulés, de ces bulletins emphatiques, de la servilité des fonctionnaires et de la morgue mystérieuse des courtisans. On s’en vengeait en rabaissant l’idole dans l’impunité des causeries intimes, et les salons récalcitrans étaient des officines de délations, de propos d’antichambre, de petites calomnies, de plates anecdotes qui devaient plus tard rendre la vie à la presse sous la Restauration. Quelle vie ! Mieux eût valu rester morte que de ressusciter ainsi, en s’acharnant sur le cadavre de l’empire vaincu et profané.

La chambre à coucher de ma grand’mère (car, je l’ai dit, elle ne tenait pas salon, et sa société avait un caractère d’intimité solennelle) fût devenue une de ces officines si, par son bon esprit et son grand sens, la maîtresse du logis n’eût fait, de temps en temps, ouvertement la part du vrai et du faux dans les nouvelles que chacun ou plutôt chacune y apportait : car c’était une société de femmes plutôt que d’hommes, et, au reste, il y avait peu de différence morale entre les deux sexes : les hommes y faisant l’office de vieilles bavardes. Chaque jour on nous