Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/720

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Je lui accordais d’abord que le suicide raisonné et consenti était généralement une impiété et une lâcheté. C’eût été le cas pour moi. Mais cela ne me paraissait pas plus absolu que bien d’autres lois morales. Au point de vue religieux, tous les martyrs étaient des suicides : si Dieu voulait, d’une manière absolue et sans réplique, que l’homme conservât, même parjure et souillée, la vie qu’il lui a imposée, les héros et les saints du christianisme devaient plutôt feindre d’embrasser les idoles que de se laisser livrer aux supplices et dévorer par les bêtes. Il y a eu des martyrs si avides de cette mort sacrée, qu’on raconte de plusieurs qu’ils se précipitèrent en chantant dans les flammes, sans attendre qu’on les y poussât. Donc l’idéal religieux admet le suicide et l’Église le canonise. Elle a fait plus que de canoniser les martyrs, elle a canonisé les saints volontairement suicidés par excès de macérations.

Quant au point de vue social (en outre des faits d’héroïsme patriotique et militaire, qui sont des suicides glorieux comme le martyre chrétien), ne pouvait-il pas se présenter des cas où la mort est un devoir tacitement exigé par nos semblables ? Sacrifier sa vie pour sauver celle d’un autre n’est pas un devoir douteux, lors même qu’il s’agirait du dernier des hommes ; mais la sacrifier pour réparer sa propre honte, si la société ne le commande pas, ne l’approuve-t-elle point ? N’avons-