Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/80

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en croupe le curé, car il était si vieux alors qu’il s’endormait au mouvement du cheval. Je rêvassais en regardant la campagne, lorsque je m’aperçus que la bête, après avoir progressivement ralenti son allure, s’était arrêtée pour brouter, et que le curé ronflait de tout son cœur. Heureusement l’habitude l’avait rendu solide cavalier, même dans son sommeil ; je jouai du talon, et la jument, qui savait son chemin, nous conduisit à bon port, malgré qu’elle eût la bride sur le cou.

Après le dîner, où il mangeait et buvait copieusement, il se rendormait au coin du feu, et, de ses ronflemens, faisait trembler les vitres. Puis il s’éveillait et me demandait un petit air de clavecin ou d’épinette : il ne pouvait pas dire piano, l’expression lui semblant trop nouvelle. À mesure qu’il vieillissait, il n’entendait plus les basses ; les notes aiguës de l’instrument lui chatouillaient encore un peu le tympan. Un jour il me dit : « Je n’entends plus rien du tout. Allons, me voilà vieux ! » Pauvre homme ! il y avait longtemps qu’il l’était. Et pourtant, il montait encore à cheval à dix heures du soir, et s’en retournait, en plein hiver à son presbytère, sans vouloir être accompagné. Quelques heures avant de mourir, il dit au domestique, que j’avais envoyé savoir de ses nouvelles : « Dites à Aurore qu’elle ne m’envoie plus rien ; je n’ai plus besoin de rien ; et dites-lui aussi que je l’aime bien, ainsi que ses enfans. »