Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/79

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perte de son argent, ou que sa servante, pour le mieux cacher, l’avait changé de place et ne s’en était pas souvenue le lendemain, à cause de son grand âge, qui lui avait fait perdre la mémoire. On raconta donc de diverses manières l’aventure du curé, et plusieurs versions courent encore à cet égard. Mais il m’a raconté lui-même ce que je raconte ici à son honneur, et même à l’honneur de son voleur, car le sentiment chrétien qui estime le repentir plus agréable à Dieu que la persévérance, est un beau sentiment dont la justice humaine ne tient guère de compte.

Ce vieux curé avait beaucoup d’amitié pour moi. J’avais quelque chose comme trente-cinq ans qu’il disait encore de moi : « L’Aurore est un enfant que j’ai toujours aimé. » Et il écrivait à mon mari, supposant apparemment qu’il pouvait lui donner de l’ombrage : « Ma foi, monsieur, prenez-le comme vous voudrez, mais j’aime tendrement votre femme. »

Le fait est qu’il agissait tout paternellement avec moi. Pendant vingt ans, il n’a pas manqué un dimanche de venir dîner avec moi après vêpres. Quelquefois j’allais le chercher en me promenant. Un jour, je me fis mal au pied en marchant, et je n’aurais su comment revenir, car, dans ce temps-là, il ne fallait pas parler de voitures dans les chemins de Saint-Chartier, si le curé ne m’eût offert de me prendre en croupe sur sa jument ; mais j’aurais mieux fait de prendre