Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 1.djvu/178

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torrent que le poëte aimait. Ce fut une belle vie d’amour et de jeunesse, une vie qui résuma le bonheur de cent vies, et qui pourtant passa rapide comme l’eau bouillonnante et l’oiseau fugitif des cataractes.

Il y a dans la chute et dans la course de l’eau mille voix diverses et mélodieuses, mille couleurs sombres ou brillantes. Tantôt, furtive et discrète, elle passe avec un nerveux frémissement contre des pans de marbre qui la couvrent de leur reflet d’un noir bleuâtre ; tantôt, blanche comme le lait, elle mousse et bondit sur les rochers avec une voix qui semble entrecoupée par la colère ; tantôt, verte comme l’herbe qu’elle couche à peine sur son passage ; tantôt, bleue comme le ciel paisible qu’elle réfléchit, elle siffle dans les roseaux comme une vipère amoureuse ; ou bien elle dort au soleil, et s’éveille avec de faibles soupirs au moindre souffle de l’air qui la caresse. D’autres fois, elle mugit comme une génisse perdue dans les ravins, et tombe, mo-