Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 1.djvu/352

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que j’accordais à un homme ; vous n’étiez sensible qu’aux insaisissables beautés de la nature, au son, à la couleur : jamais à la forme distincte et palpable. Un chant éloigné vous faisait verser des larmes. Mais, dès que le pâtre aux jambes nues paraissait au sommet de la colline, vous détourniez les yeux avec dégoût ; vous cessiez d’écouter sa voix ou d’y prendre plaisir. En tout la réalité blessait vos perceptions trop vives et détruisait votre espoir trop exigeant. N’est-il pas vrai, Lélia ?

— C’est vrai, ma sœur, nous ne nous ressemblions pas. Plus sage et plus heureuse que moi, vous ne viviez que pour jouir ; plus ambitieuse et moins soumise à Dieu peut-être, je ne vivais que pour désirer. Vous souvient-il de ce jour d’été, si lourd et si chaud, où nous nous arrêtâmes au bord du ruisseau sous les cèdres de la vallée, dans cette retraite mystérieuse et sombre, où le bruissement de l’eau tombant de roche en roche se