Page:Sand - L Homme de neige vol 3.djvu/21

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mes jambes au profit de mon savoir, au lieu d’épuiser mon esprit à des pasquinades pour gagner plus vite une meilleure nourriture et des habits plus fins ? Ne suis-je pas de force à travailler matériellement pour laisser mon intelligence libre et humblement féconde ? J’ai beaucoup pensé à la vie de votre grand Linné, qui est le résumé de la plupart de celles des savants au temps où nous sommes. C’est toujours le pain qui leur a manqué, c’est l’absence de ressources qui a failli étouffer leur développement et laisser leurs travaux ignorés ou inachevés. Je les vois tous, dans leur jeunesse, errants comme moi et inquiets du lendemain, ne trouver leur planche de salut que dans le hasard, qui leur fait rencontrer d’intelligents protecteurs. Encore sont-ils forcés, après avoir refermé leur main sur un bienfait, chose amère, d’interrompre souvent leur tâche pour occuper de petites fonctions qui leur sont accordées comme une grâce, qui leur prennent un temps précieux, et qui entravent ou retardent leurs découvertes. Eh bien, que ne faisaient-ils ce que je veux, ce que je vais faire : mettre un marteau ou un pic sur l’épaule pour s’en aller creuser la roche ou défricher la terre ? Qu’ai-je besoin de livres et d’encrier ? Qui me presse de faire savoir au monde savant que j’existe avant d’avoir quelque chose de neuf et de véritablement intéressant à lui dire ? J’en