Page:Sand - La Daniella 1.djvu/131

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l’état social. Cette plaine est parsemée de détails criards, d’une multitude de petites ruines antiques plus ou moins illustres ; de tours guelfes ou gibelines, très-grandes de près, mais microscopiques sur cette vaste arène ; de cahutes de paille, assez vastes pour abriter, la nuit, les troupeaux errants pendant le jour, mais si petites à distance, qu’on se demande si un homme peut y loger. Ce semis de détails toujours trop noirs ou trop blancs, selon l’heure et l’effet, est insupportable, et fait ressembler la plaine à un camp abandonné.

Pardonnez-moi cette critique froide de lieux qu’on est forcé, par l’usage de trouver admirables de lignes et ruisselants de poésie. Il faut bien que je vous explique pourquoi, sauf de rares instants où l’œil saisit un détail par hasard harmonieux (les troupeaux le sont toujours et partout) et une échappée entre deux buttes où, par bonheur, il n’y a pas de ruines tranchantes, je m’écrie intérieurement :

— Laid, trois fois laid et stupide le steppe de Rome ! Ô mes belles landes plantureuses de la Marche et du Bourbonnais, personne ne parle de vous ! Voilà ce que c’est que de manquer de peste, de cadavres, de rapins et de larmes de poëte !

Enfin, ici, à Frascati, on entre dans un autre monde, un petit monde de jardins dans les rochers, qui, grâce au ciel, ne ressemble à rien et vous fait comprendre les délices de la vie antique. Je tâcherai de vous en donner peu à peu l’idée ; car c’est un cachet bien tranché, et voici la première fois que je me sens vraiment loin de la France et dans un pays nouveau. Pour aujourd’hui, je ne vous parlerai que de mon installation dans un domicile étrange comme le reste.

Oubliez vite ce mot que je viens de dire : les délices de la vie antique, en parlant de la villégiature romaine. La campagne qui m’environne mérite le titre de délicieuse ; mais