Aller au contenu

Page:Sand - La Daniella 2.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aimé, mais que, par un dépit d’enfant, un orgueil de jolie femme, elle avait voulu te plaire. Elle déclare qu’elle a échoué et qu’elle en est contente ; qu’elle se condamne et se moque d’elle-même pour ce mauvais sentiment qui l’a fait m’offenser et me chasser d’auprès d’elle. Elle me redemande mon amitié et veut que je lui promette la tienne. Voilà ce qu’elle dit, ce qu’elle a l’air de penser. Je lui ai tout pardonné, et nous nous sommes embrassées, moi de bon cœur, elle… de bonne foi, je pense !

Daniella ne put m’en dire davantage ; on l’appela auprès de lady Harriet. La soirée s’écoula dans des alternatives d’espoir et d’inquiétude. À minuit, la fièvre tomba ; l’accès avait été beaucoup moins grave que les précédents. Le médecin, espérant que milady était sauvée, alla se coucher. Lord B*** voulut envoyer reposer Daniella, qui aima mieux rester sur un fauteuil auprès de la malade. Medora prit le thé avec Brumières et se retira dans son appartement. Je demeurai au salon avec lord B***, qui, de quart d’heure en quart d’heure, allait, sur la pointe du pied, écouter la respiration de sa femme.

-Vous devez me trouver ridicule, dit-il dans un de ces intervalles de causerie avec moi. Vous me mettez au nombre de ces époux inconséquents qui se plaignent pendant vingt ans de leur femme, et qui ne trouvent jamais moyen de vivre avec elle, si ce n’est au moment de la quitter pour toujours. Je m’étonne moi-même de ce que j’éprouve, car il y a eu des heures… des heures où j’avais bu, des heures honteuses dans mon souvenir, où je disais, à moitié sérieusement : La mort rendra la liberté à l’un de nous ! Mais, en voyant arriver cette mort qui la prenait de préférence à moi, elle jeune, et belle encore, tandis que je me sens vieux et l’âme usée, j’ai été saisi d’effroi et de remords. C’est elle qui a droit à la vie après la triste existence qu’elle a eue avec moi, et j’ai