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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/203

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la nature t’a donné, avec le caractère et l’accent que personne ne pourrait t’enseigner et que personne ne pourrait, en ce sens, réaliser mieux que toi. Te rappelles-tu ce que tu chantais un soir à la villa Taverna ?

— Oui, oui, s’écria-t-elle. Oh ! cela me fera plaisir de me rechanter cela !

Elle dit un ou deux couplets ; mais, mécontente d’elle-même et trouvant qu’elle manquait de feu et d’entrain, elle prit le tamburello, et, comme si elle se fût remontée à l’énergique appel de ce grelot sauvage, elle chanta avec plus de nerf. Cependant elle secouait la tête d’un air de dépit.

— Qu’a-t-elle donc ? dit Brumières. Il me semble qu’elle va mettre le feu au château !

— Non ; non, je ne suis ni en voix ni en âme, s’écria-t-elle. Ces choses-là ne se chantent pas, elles se dansent !

Et, s’élançant au milieu de la chapelle, en sautant par-dessus les planches et les copeaux qui en encombrent encore une partie, elle se mit à danser, à chanter et à tambouriner en même temps, avec cette sorte de fureur sacrée qui m’avait fait déjà frissonner d’amour et de jalousie.

J’espérais que ce transport ne se communiquerait pas à Brumières ; et d’ailleurs, je craignais d’être égoïste en m’opposant au besoin que cette fille de l’air éprouvait d’essayer un instant ses ailes. Mais Brumières est impressionnable autant qu’expansif. Il se mit à crier d’admiration et à divaguer dans son enthousiasme d’artiste, de manière à me contrarier beaucoup. J’arrachai le tambourin des mains de Daniella, et l’emportant presque elle-même dans mes bras, je la poussai au piano en la grondant malgré moi.

— Mais pourquoi l’empêchez-vous d’être si belle ? disait Brumières. Vous êtes un brutal, un pédant ! Laissez-la donc se révéler ! Encore, encore !