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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/204

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Je donnai pour prétexte à mon dépit que ce chant mêlé de danse pouvait casser la voix.

— Crois-tu cela ? me dit Daniella, qui, sans être essoufflée, s’était assise, accoudée sur le piano d’un air tout à coup grave et rêveur.

— Non ! lui répondis-je tout bas ; mais je te l’ai dit, tu ne danseras jamais que pour moi, si tu m’aimes.

— Eh bien, mon cher, s’écria Brumières, comme s’il eût deviné mes paroles, vous auriez tort de vouloir faire mystère de telles aptitudes ! Voyez-vous, la signora Daniella a cent mille livres de rente dans le gosier, dans les pieds, dans le cœur, dans les yeux, dans la tête. Ah ! vous n’êtes pas maladroit, vous, d’avoir deviné et saisi au vol la sylphide déguisée en villageoise ! Quelle grâce, quelle verve, que d’enivrements réunis dans un seul être ! C’est trop, c’est trop ! Et avant un an, voilà un prodige qui effacera tous les prodiges de nos théâtres. La musique et la danse, au même degré de puissance…

Daniella l’interrompit brusquement. Elle voyait que ces éloges à bout portant me donnaient sur les nerfs, et elle tenait à me montrer qu’elle n’en était pas enivrée.

— Vous vous moquez de moi, lui dit-elle, et c’est ma faute. La paysanne a trop reparu. Il faudra qu’elle s’efface, car je veux être ce qu’il voudra que je sois. En attendant, je vas vous montrer que je suis encore une bonne ménagère en vous servant du café de ma façon.

Elle sortit et ne revint pas, délicatesse de cœur dont je lui sus un gré infini. Sans s’apercevoir de mon émotion, Brumières continua à s’extasier sur les séductions de ma femme et à me dire, sans trop gazer, que j’avais tiré à la loterie de l’amour un meilleur numéro que le sien. Il m’avait pris pour un braque, pour un philosophe, c’est-à-dire pour un crétin ou un fou ; mais il voyait bien que j’avais de meilleurs yeux