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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/278

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elle fera des imprudences, et son mari ne pourra pas fermer les yeux plus longtemps. S’il ne tue pas ce jeune homme, il tuera la Vincenza.

— Eh bien, répondis-je, ce ne sera pas une si grande perte !

— Cette femme-là est bien coupable et bien bornée ! reprit Daniella ; mais Felipone l’aime avec passion, et, quand il l’aura tuée, il se tuera lui-même, s’il n’en devient pas fou.

— J’espère, ma chère femme, que tu crées avec ton cœur et ton imagination un roman plus noir que la réalité. Felipone aime sa femme avec les sens. Tous ses traits indiquent la sensualité, rien de plus, et ils expriment aujourd’hui, comme toujours, la sensualité satisfaite. Avec des caresses, sa femme le ramènera. Il n’y a ni assez d’enthousiasme ni assez de réflexion en lui pour qu’il prenne en haine et en dégoût cette chair souillée et cet amour flétri.

— Tu raisonnes à ton point de vue ; mais, chez nous, les sens font faire plus de choses terribles que tu ne crois. Et puis, tu ne juges pas assez bien le cœur de Felipone : il aime avec le cœur aussi. Il a été un père pour moi dans les derniers temps, et il a pour toi une amitié qui prouve qu’il est plus intelligent qu’il ne paraît. Va, nous perdrons beaucoup en le perdant !

Je parvins à écarter les idées sombres de cette chère créature, et à lui faire reprendre, avec assez d’attention, notre solfège ; mais lorsqu’elle fut endormie, elle eut des rêves effrayants, et, trois fois dans la nuit, elle se leva pour aller écouter sur la terrasse. Elle ne pouvait pas se persuader qu’elle n’eût pas réellement entendu des gémissements et les bruits lointains d’une lutte horrible.

Quand le jour parut, elle s’habilla et me pria d’aller avec elle me promener autour de la ferme des Cyprès. Je la voyais si agitée que je cédai. Elle voulait passer par le souterrain.