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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/69

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rien dire, je courus à la chapelle en plein vent, où le chapelet flottait au cou de la madone, et, dans ma précipitation, je ne vis pas que l’émail était fêlé ; je tirai le collier un peu brusquement : la tête tomba, et je pris la fuite. Heureusement, je n’avais pas été vu, et je pus embrasser ma maîtresse sans avoir affaire à l’Inquisition.

Je ne fis point d’éloges au docteur sur sa perspicacité. Je me bornai à trouver l’histoire très-intéressante, et il n’insista pas pour faire un rapprochement. Le vin lui déliait la langue, et il était plus pressé de me raconter vingt anecdotes pour son propre compte que de m’arracher l’aveu de la mienne. Pourtant, j’aurais bien désiré, en ce moment, qu’il sût quelque chose de Daniella, et qu’incidemment il pût me donner de ses nouvelles ; mais, pour rien au monde, je n’aurais voulu parler d’elle à un homme qui parlait si follement de l’amour.

— Vous devriez bien, me dit le prince, quand nous aurons fini de dîner, esquisser un souvenir de cette grande salle et de ce campement comique, éclairés comme les voilà. Plus tard, si vous voulez bien me permettre de vous faire une commande, je vous prie de m’en faire un tableau. Ce lieu me sera toujours cher. J’y ai été heureux dans mes pensées, bien que tourmenté d’esprit et malade de corps. Quant à vous, malgré vos ennuis, vous devez le chérir aussi… Je ne vous demande rien… pas même son nom ; mais elle m’a semblé bien jolie.

— Vous l’avez donc vue ? s’écria le docteur.

— Oui ! le jour où j’ai failli être surpris dans le cloître par M. Valreg. J’avais vu entrer… Mais tenez, docteur, il est comme moi ; il a un sentiment sérieux dans le cœur, et nous ne devons pas lui parler de celle à qui nous avons eu l’obligation de pouvoir fumer nos cigares dans les cours et les galeries du château presque tous les soirs. N’est-