Page:Sand - La Daniella 2.djvu/70

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il pas vrai, ajouta-t-il en s’adressant à moi, que, de six heures de l’après-midi à six heures du lendemain, vous ne sortiez pas du casino, puisqu’elle y était ? Mais, depuis le blocus, il parait qu’elle n’a pu venir, car vous avez été sur pied, trottant partout et à toute heure avec une insistance…

— Je vois que vous étiez très au courant de mes habitudes ; mais pourquoi vous êtes-vous méfié de moi au point de me cacher les vôtres ?

— Nullement, mon cher ; j’avais de la sympathie pour vous sans vous connaître. J’aimais votre talent…

— Mon talent ? Je n’ai pas encore de talent ; et, d’ailleurs…

— Vous croyez que je n’ai rien vu de vous ? Eh bien, sachez que, tous les soirs, nous nous amusions, nous qui nous couchons tard, à aller voir, dans votre atelier, ce que vous aviez fait dans la journée.

— Moi qui me croyais si seul !

— On n’est jamais seul ; mais vous avez cru l’être, et nous n’avons pas voulu troubler les délices de vos tête-à-tête ; j’aurais peut-être été moins discret et plus taquin, dans d’autres moments de ma vie ; mais, étant passionnément amoureux pour mon compte…

Un bâillement de digestion laborieuse coupa si drôlement le mot passionnément articulé par le prince, que j’eus peine à m’empêcher de rire. Le docteur s’en aperçut.

— Vous croyez qu’il plaisante ? dit-il. Eh bien, pas du tout. Ce paresseux, ce gourmand, ce malade, ce blasé, ce voluptueux, cet excellent prince a encore des passions romanesques : et, pour le moment… D’ailleurs, en voici bien la preuve, ajouta-t-il en me montrant les voûtes fendues et crevassées : nous sommes là dans une cave qui suinte et qui craque : moi, j’y suis venu pour pouvoir embrasser ma