Anicée, en me voyant, ne put retenir un cri. Elle laissa tomber son livre, accourut dans mes bras et me baisa sur les deux joues avec l’effusion d’une sœur. Puis elle rougit après, ne sut me rien dire, se rassit sur le banc en me faisant signe de m’asseoir auprès d’elle, et là, devenue tremblante, elle fit de vains efforts pour retenir ses larmes.
J’eus peur d’abord ; je n’osais croire à tant de bonheur. Je pensai qu’un malheur était arrivé dans la famille, ou qu’il lui était interdit par sa mère de me recevoir… ou enfin qu’elle s’était laissé fiancer à un autre que moi.
Il n’y avait rien de tout cela ! Justice et bonté du ciel, j’étais aimé ! Aussitôt que je l’eus compris, je cessai mes questions et ne demandai pas même la cause de ces larmes qui me rendaient si fier. Elle avait pleuré deux fois pour moi, une fois de douleur et une autre fois de joie. Quel plus naïf aveu pouvais-je exiger ? Je n’ai jamais compris qu’un homme osât arracher à la femme qu’il veut aimer toute sa vie une caresse ou un mot qui l’engage prématurément. C’est froisser la pudeur de l’âme, c’est violer la conscience. Jusqu’à l’hymen complet des âmes, celui qui veut être véritablement aimé doit respecter la liberté et laisser grandir la confiance. Insensé celui qui croit avoir les droits du maître parce qu’il a surpris un moment d’émotion et arraché ce mot : « Je vous aime, » après lequel la femme ressent parfois encore plus de peur de l’avoir dit qu’elle n’a éprouvé d’entraînement à le dire.
Non, non, je ne voulais pas l’obtenir ainsi ! je voulais laisser venir un jour où elle me le dirait, sans pâlir et sans trembler, avec de la joie dans l’âme et de la sérénité dans le regard.
Sa mère vint nous joindre et me montra une affection sincère. Dès les premiers mots, elle fut aussi franche avec moi qu’elle avait été prudente ; car, Anicée nous ayant quittés un instant pour aller me chercher ma filleule, qui s’était éloignée