Page:Sand - La Filleule.djvu/207

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J’ai eu alors du dépit, et, n’hésitant plus à me prononcer, j’ai dit que tous les bracelets du monde ne m’empêcheraient pas de juger que la duchesse était une bonne femme un peu commère, et le duc un homme presque aussi parfait que mon parrain, mais beaucoup plus indulgent pour moi.

Cette réponse a paru étonner mamita, qui a, certes, une grande affection et même de l’engouement pour mon parrain. Elle a failli me contredire ; puis elle s’est arrêtée, et sans prendre note de mon reproche, elle a fait l’éloge du duc. J’ai demandé son nom ; mamita a paru hésiter ; mon parrain s’est hâté de dire :

— Jusqu’à nouvel ordre, il n’a pas de nom ici. Des raisons de famille l’obligent à y venir incognito.

Il a fallu me payer de cette réponse. Mon parrain, qui demeure un peu loin d’ici, nous a souhaité le bonsoir, et moi, me sentant le cœur très-gros de son air toujours froid et dur avec moi, j’ai été me coucher. Mais, loin d’avoir envie de dormir, voilà que je griffonne encore dans mon lit à une heure du matin.

Mon Dieu ! à quoi cela me sert-il ? Cela ne me soulage pas. Si je lui écrivais, à lui, ce serait différent ; mais il se moquerait de moi, et pourtant il me semble que je saurais lui faire par écrit des reproches mieux tournés que je ne peux les dire.

Allons, allons ! qu’ai-je besoin de penser toujours à lui ? C’est un homme bizarre ; personne ne le croit ; mais, moi, je le sais. Je sais que sa bienveillance, son grand esprit, sa tolérance, son savoir-vivre, ne l’empêchent pas d’avoir des manies, des grippes, et que je suis l’objet d’une des mieux conditionnées. Pourquoi moi, hélas ! moi qu’il aimait tant quand j’étais petite ! moi qu’il faisait sauter sur ses genoux avec tant d’amour ! moi qu’il a pris ensuite tant de soin à instruire et à qui il parlait toujours comme un père à sa fille ! moi à qui il écrivait, durant